Théo MARYChercheur en algorithmes numériques
Les calculs et les algorithmes qui s’exécutent sur les supercalculateurs doivent être optimisés afin de dégager la meilleure performance possible. Théo Mary, chargé de recherche CNRS au laboratoire LIP6 (CNRS/Sorbonne Université), développe des approximations qui permettent de résoudre des problèmes comportant jusqu’à des centaines de millions d’inconnues en un temps raisonnable et avec une perte de précision maîtrisée.
Les sciences exactes ont parfois beaucoup à gagner avec quelques approximations. Théo Mary, chargé de recherche au Laboratoire LIP6, améliore ainsi les performances des algorithmes grâce à ces dernières. Ses contributions irriguent des domaines comme le calcul approché, le calcul scientifique et le calcul haute performance (HPC), utilisé par exemple dans les supercalculateurs.
« Avec l’arrivée de machines de plus en plus puissantes, le passage à de nouvelles échelles de calcul représente un défi important, explique Théo Mary. La méthodologie du calcul approché exploite des approximations et relâche certaines contraintes de précision ou de robustesse, afin de gagner notamment en temps, en stockage et en énergie. »
Le milieu du HPC se prépare en effet à l’arrivée des machines exascales, c’est-à-dire de supercalculateurs dont la rapidité et la puissance permettent de dépasser un exaflops, soit un milliard de milliards d’opérations en virgule flottante par seconde. Les algorithmes actuels devront être optimisés afin de tourner efficacement sur de tels systèmes. Le premier supercalculateur exascale de France sera mis en service en 2025.
Théo Mary se focalise sur deux grands types d’approximations, de nature informatique ou mathématique, qu’il développe et combine. Les approximations informatiques consistent à passer la représentation des nombres classique sur des formats 64 bits à des formats plus compressés, comme 32 ou 16 bits. Dans l’approximation mathématique, la compression s’opère au niveau de l’algorithme et des données représentées par des matrices structurées, telles que creuses ou de rang faible.
Théo Mary a apporté plusieurs contributions, de nature à la fois théorique et pratique, aux algorithmes approchés. D’une part, il étudie leur stabilité, en s’assurant qu’ils continuent de donner des résultats cohérents même quand les valeurs sont arrondies ou approximées. D’autre part, il implémente du code mettant en œuvre ces algorithmes sur des supercalculateurs parallèles, dont il optimise les performances. Ses travaux ont trouvé des applications dans des projets de géophysique, sur l’analyse d’imageries sismiques, ou en mécanique des fluides.
« Je réfléchis par exemple au nombre de chiffres significatifs qu’il faut garder dans un calcul, sachant que le calcul classique conserve seize chiffres après la virgule, précise Théo Mary. Quatre suffisent ainsi pour des modèles géophysiques. Ces compressions peuvent apporter une optimisation jusqu’à plusieurs ordres de grandeur en fonction des cas. Si elles approximent avec succès une fonction à complexité quadratique en une fonction à complexité linéaire, on peut être jusqu’à mille fois plus efficace. En géophysique, dans le cadre du projet WIND, cela nous a permis de résoudre un problème à cinq cents millions d’inconnus. C’est probablement un record du monde, qui a réclamé l’utilisation de cinquante mille cœurs de processeurs. »
Ce résultat marquant a été obtenu avec le logiciel libre MUMPS (Multifrontal massively parallel sparse direct solver), dans lequel Théo Mary est très impliqué. MUMPS est une bibliothèque de fonctions qui résout, depuis trente ans, des problèmes d’algèbre linéaire pour matrices creuses. Le chargé de recherche y contribue depuis une dizaine d’années en y introduisant des compressions numériques et informatiques. Il vient également d’intégrer le Programme de recherche Numérique pour l’exascale (PEPR NumPEx). Ce vaste projet d’optimisation du HPC, mais aussi de l’intelligence artificielle et de l’analyse des données à haute performance (HPDA), vise à bénéficier au maximum de l’arrivée prochaine de l’exascale.
Toutes ces implications valent à Théo Mary de recevoir la médaille de bronze du CNRS. « Je suis très honoré par cette reconnaissance, réagit-il. Je suis ravi de cette occasion de mettre en lumière les thématiques auxquelles je travaille, et je suis convaincu que le calcul approché va offrir des solutions prometteuses pour l’ère de l’exascale. »