HoliSoils : au ras du sol forestier

Interview Terre et Univers

Il est là, sous nos pieds, mais on le connaît mal. Le sol forestier regorge de carbone : comment celui-ci va-t-il réagir au changement climatique ? C’est à cette question que répond le projet H2020 HoliSoils, auquel contribue Bertrand Guenet, chercheur au Laboratoire de géologie de l’École normale supérieure. Découvrez son entretien.

  1. Pourriez-vous vous présenter ?

Je suis chargé de recherche au CNRS depuis 2013. En 2019, j’ai rejoint le Laboratoire de géologie de l’École normale supérieure (LG-ENS, CNRS/ENS – PSL).

Je m’intéresse au cycle du carbone et à ses interactions avec le climat, avec un focus plus particulier sur les sols, qu’ils soient agricoles, forestiers ou autre. Cet intérêt pour ce sujet remonte à mes études. Comme beaucoup de mes camarades de licence à l’université d’Orsay, je souhaitais concilier la recherche scientifique et la lutte contre le réchauffement climatique. Alors que l’attention médiatique et scientifique se concentrait, à cette époque, sur la fonte des glaces ou le réchauffement des océans, l’un de nos professeurs nous a mis en garde contre un champ insoupçonné : les sols. « C’est bien de vouloir sauver les baleines, disait-il en substance, mais regardez d’abord ce qu’il y a sous vos pieds‌ ».

J’ai donc suivi son conseil en menant à bien une thèse, soutenue en 2009, sur les interactions entre les entrées de matières organiques fraîches et la minéralisation des matières organiques des sols.

           

  1. En quoi consiste le projet HoliSoils ?

Ce projet H2020[1] a été lancé en septembre 2021 pour une durée de quatre ans et demi. Il est porté par Raisa Mäkipää, chercheuse à l’institut de recherche finlandais Luke. HoliSoils intègre de nombreux partenaires européens : la France, mais aussi l’Allemagne, l’Espagne, la Lituanie, les Pays-Bas, la République tchèque, la Roumanie, le Royaume-Uni, la Slovaquie ou encore la Suède. Il compte également quelques partenaires internationaux : le Japon, qui dispose d’un modèle de prédiction des gaz à effets de serre (GES) assez intéressant et simple d’utilisation, et l’Uruguay, qui, comme le continent européen, possède des forêts tempérées.

En un mot, l’enjeu de ce projet est de mieux comprendre comment les forêts européennes vont répondre au changement climatique et à ses conséquences collatérales telles les feux, les attaques d’insectes ou encore les tempêtes. Les forêts européennes sont, en effet, un élément important dans la lutte contre le réchauffement climatique en raison de leur capacité à absorber le carbone émis dans l’atmosphère. Toutefois, les forêts vont être de plus en plus soumises au stress généré par le réchauffement climatique et ses conséquences. Or, on ne sait pas trop comment le carbone, stocké par les sols forestiers, va réagir au changement climatique.

Je m’occupe pour ma part du work package relatif à la modélisation de la dynamique du carbone dans les sols forestiers. Il s’agit, d’une part, de développer une approche de modélisation permettant de prédire la dynamique du carbone dans les sols forestiers et, d’autre part, d’intégrer aux modèles existants des déterminants liés à la biodiversité de ces sols pour mieux comprendre comment celle-ci va moduler la réponse du carbone au changement climatique. Le souci est qu’à l’heure actuelle, plusieurs pays disposent déjà d’un modèle de surveillance de leurs forêts. Néanmoins, ceux-ci ne sont pas transposables d’un écosystème à l’autre : ce qui marche pour un pays ne fonctionne pas nécessairement pour un autre, ce qui gêne le transfert de connaissances scientifiques. C’est pourquoi l’un des buts du projet HoliSoils est le développement de modèles de surveillance du carbone des sols forestiers standardisés à l’échelle européenne.

 

  1. Quels sont les terrains étudiés ?

L’Europe abrite une grande diversité de forêts, qui vont de la forêt méditerranéenne au sud à la forêt boréale au nord. Plusieurs sites expérimentaux sont donc déployés dans chacun de ces écosystèmes. Par exemple, une équipe à Marseille étudie les forêts de chênes méditerranéennes. D’autres, dans les pays du nord de l’Europe, celles de conifères. Dans les régions tempérées, des équipes observent les forêts de feuillus, comme les charmes, les ormes, les hêtres, etc. Néanmoins, l’objectif n’est pas tant de s’attacher à chaque écosystème que d’établir des règles générales pour les forêts européennes, avec des variations selon leur type.

Ces sites expérimentaux poursuivent plusieurs objectifs. D’un côté, ils contribuent à monitorer les GES des sols forestiers, de l’autre, ils étudient leur biodiversité, en particulier celle des micro-organismes. Enfin, ces sites permettent aux chercheurs d’y mener des expériences en reproduisant, sur le terrain, les effets des événements extrêmes, comme les feux, les attaques de ravageurs et les tempêtes, et de voir comment le sol y répond.

 

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© Jorge Curiel Yuste/Basque Centre for Climate Change

 

  1. Quelle est la méthodologie employée ?

HoliSoils combine deux approches. Dans un premier temps, il collecte les données des sites expérimentaux évoqués. Puis, dans un second temps, il comparera les modèles de surveillance du carbone forestier déjà existants pour mesurer l’état et, surtout, l’incertitude de nos connaissances actuelles. C’est sur cette seconde approche que je travaille actuellement.

En comparant les différents modèles, on saisit, en effet, les divergences des paramètres retenus par chacun. Ainsi, certains modèles ne tiennent pas compte du rôle, pourtant crucial, des micro-organismes dans le sol ou de la mésofaune. Le modèle que nous envisageons ne vise pas une nouvelle création ex nihilo, mais une combinaison des modèles déjà existants pour représenter la diversité des approches possibles. Par ailleurs, nous ne prétendons pas produire un modèle donnant des chiffres définitifs, mais une estimation des trajectoires d’évolution du carbone dans les sols, une gamme de variations liée à l’incertitude de notre niveau de compréhension. Nous voulons quantifier l’incertitude.

 

  1. Quelles sont les perspectives d’HoliSoils ?

Pour présenter notre modèle, nous envisageons le développement d’un outil simple pour l’utilisateur – qu’il s’agisse d’un décideur européen, d’un forestier ou d’un autre scientifique –, capable de définir une valeur médiane entre les différents modèles étudiés. Le nôtre apporte une plus-value – la quantification de l’incertitude – aux modèles existants et permet ainsi de déterminer un niveau de confiance dans les chiffres retenus.

Ce besoin de quantifier l’incertitude est capital dans les systèmes naturels, dont les processus ne sont pas contrôlés et contrôlables de A à Z. Pour mener des politiques efficaces contre le réchauffement climatique, il est nécessaire de prendre en compte la variabilité des écosystèmes.

 

  1. De quelle manière l’Union européenne contribue-t-elle au projet ?

Le projet HoliSoils, intégré dans le programme Horizon 2020 de l’Union européenne, bénéficie à ce titre d’un financement de 10 millions d’euros, dont 600 000 euros pour le CNRS.

En outre, l’UE nous pousse à publier nos données et nos résultats en open access. Un accès libre à la science me semble très important pour construire nos politiques de réponses au changement climatique.

 

[1] Le programme H2020 était un programme de financement de la recherche et de l'innovation de l'Union européenne, remplacé, depuis 2021, par Horizon Europe. Il concentrait ses financements sur la réalisation de trois priorités : l'excellence scientifique, la primauté industrielle et les défis sociétaux.

 

Contact

Bertrand GUENET
Chercheur CNRS au LG-ENS
Pôle communication Délégation Paris-Centre